
Réunir de grands acteurs (agences des Nations Unies, États, ONG, donateurs privés, industriels) ne garantit le succès de programmes internationaux de lutte contre des maladies endémiques. Ces « partenariats intersectoriels » ou CSP* doivent s’articuler avec les structures de santé des pays ciblés pour ne pas les déstabiliser.
Interview de Léa Stadtler, professeur associée à GEM et spécialiste des CSP
Pourquoi vous intéressez-vous aux CSP ?
Parce qu'en dépit de leur objectif louable – par exemple, éradiquer des maladies endémiques qui font des ravages dans les pays en développement - ces projets qui mobilisent de grands acteurs et des centaines de millions d'euros peuvent avoir d'importants effets contre-productifs.
Or, ce phénomène n'est pas le fait du hasard. Il résulte de ce que j'appelle le « design » du CSP, c'est-à-dire la manière dont ses acteurs articulent leur action avec l'environnement local de santé des États ciblés. Et ce design découle lui-même de la façon dont ces différents acteurs ont pesé sur la genèse du CSP, en faisant valoir leurs priorités et leur philosophie d'action.
Quels types de « designs » avez-vous identifiés ?
Dans un article publié récemment avec une collègue britannique, nous distinguons le CSP « détaché » et le CSP « ancré ». Le CSP détaché est focalisé sur son objectif, par exemple la distribution d'un traitement contre une maladie endémique. Ses acteurs visent l'efficacité, l'obtention de résultats rapides. Ils optimisent leur fonctionnement interne et leurs interactions, mais ont peu de liens avec les systèmes de santé locaux.
À l'inverse, le CSP ancré accorde une grande importance à ces liens ; il se coordonne avec les structures et les programmes existants, voire contribue à les améliorer et à les renforcer.
Quels sont les avantages et inconvénients de ces deux types de CSP ?
Il est difficile de faire collaborer une agence des Nations-Unies, des fondations privées, des ONG et des industriels ; créer un CSP prend couramment deux ans. Si vous voulez aussi travailler avec les acteurs locaux de plusieurs pays, c'est encore plus compliqué. Aussi, un CSP ancré est bien plus long à mettre en place.
En revanche, il n'a pas les effets indésirables des CSP détachés. Par exemple, ils proposent des salaires très attractifs qui vident les structures de soins de leurs personnels. Ou ils désorganisent ces structures en leur confiant une campagne de vaccination alors qu'elles sont déjà surchargées. Ou encore, ils promeuvent des objectifs de santé non prioritaires dans les États visés.
Le CSP détaché est-il à proscrire en toutes circonstances ?
Il a du sens dans des pays gangrénés par la corruption, ou dont le système local de soins est gravement défaillant. Il peut aussi contribuer à la formation des soignants locaux, même si ce n'est pas son but premier. Par ailleurs, il répond aux attentes des donateurs qui souhaitent contrôler l'utilisation de leur argent et veulent avancer vite ; si ceux-ci ont une forte influence sur la mise en place du CSP, le design détaché risque de s'imposer.
Cela dit, on constate ces dernières années que les CSP détachés suscitent de plus en plus de critiques et de résistances de la part des États ciblés. Leur légitimité est attaquée, leur action sur le terrain est freinée, ce qui les conduit à évoluer vers un design ancré ; c'est ce qui s'est passé pour les cinq projets détachés étudiés dans notre article.
À l'inverse, comment définir ce qu'est un ancrage satisfaisant ?
On peut parler d'ancrage dès lors qu'un CSP prend en compte ses bénéficiaires directs, mais aussi les structures de soin locales à leur service. Si je fais des campagnes de communication pro-vaccination, je suis présent sur le terrain mais pas ancré. Si je conçois cette campagne avec le ministère de la santé, que je forme 1000 fonctionnaires à la chaîne du froid et que j'envoie mes propres équipes en renfort dans les dispensaires pour vacciner, je suis ancré.
*Cross-sector partnerships
Le cycle d’interviews de la chaire Public Trust in Health
La chaire Public Trust in Health réalise un cycle d’interviews sur des sujets variés en lien avec les expertises de Grenoble Ecole de Management en santé. Tous les mois un chercheur échange avec un journaliste professionnel autour de thématiques variées allant de la confiance en santé, en passant par l’intelligence artificielle, les serious game, le stress du personnel hospitalier, les rappels pharmaceutiques jusqu’à l’expertise des patients, etc.
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A propos de la chaire Public Trust in Health
Les recherches menées au sein de la chaire Public Trust in Health ont pour objectifs de mieux comprendre les nouvelles solutions technologiques, les relations patients-professionnels et les écosystèmes de soins et d’innovation dans les territoires. Les travaux de la chaire s’articulent autour des 3 axes suivants :
- Repenser la place des patients au sein du système de santé ;
- Explorer les enjeux entre confiance, technologie et santé ;
- Développer les écosystèmes de santé.