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"La eSanté va décoller car l’État a changé de méthode"

La eSanté va décoller car l’État a changé de méthode
Publié le
26 Avril 2022

Pourquoi MonEspaceSanté, lancé récemment, aurait-il plus de succès que le dossier médical personnel de 2004 ? Comment convaincre les acteurs de santé de partager leurs données ? La eSanté améliorera-t-elle vraiment le quotidien des patients ? La chaire Public Trust in Health a posé ces questions d’actualité à un expert : Emmanuel Michaud, directeur de l’offre Santé de Tessi. Pour lui, les voyants passent au vert.

Le dossier médical personnel de 2004 a été un échec, le dossier médical partagé de 2016 aussi. Pourquoi l’État s’obstine-t-il avec mon MonEspaceSanté en 2022 ?

Emmanuel Michaud : je parlerais plus de persévérance que d’obstination. Pour faire naître le futur système national de eSanté, nous avons besoin de regrouper les données de chaque patient dans un espace numérique sécurisé. C’est le pivot, l’outil de base pour que les soignants connaissent l’histoire de ce patient, se coordonnent, ne prescrivent pas deux fois le même examen, prennent de meilleures décisions, etc.

Pourquoi ce qui a échoué par le passé réussirait-il cette fois ?

Parce que l’État, et plus précisément sa délégation ministérielle au numérique en santé, a changé de méthode. Jusqu’ici, ses projets de eSanté n’étaient pas portés par une volonté politique forte. Il n’arrivait pas à faire adhérer certains grands acteurs du soin. Les éditeurs de logiciels continuaient à vendre des technologies propriétaires qui empêchaient tout décloisonnement. Il régnait un certain flou autour de la confidentialité des données du dossier médical partagé, et les patients n’avaient pas confiance.

Depuis 2018 en revanche, l’État déploie des méthodes à la fois collaboratives et contraignantes. Il spécifie des solutions de eSanté puis fait de la concertation avec les acteurs concernés ; il publie les spécifications définitives, puis les impose par décret tout en les accompagnant d’incitations financières. C’est plus cohérent et plus efficace.

Des avancées issues de cette méthode ?

Depuis 2019, les hôpitaux sont tenus d’acheter des logiciels conformes au standard international d’interopérabilité HL7. Les éditeurs adaptent donc leur offre, et il va devenir de plus en plus facile de partager et de consolider des données. Autre exemple : depuis 2021, chaque assuré social se voit attribuer un identifiant national de santé (INS). Ainsi, les professionnels sont certains que les données sur un patient sont cohérentes et sécurisées.

MonEspaceSanté a-t-il aussi bénéficié de cette approche ?

Oui, car le flou qui avait plombé les tentatives précédentes a été dissipé : c’est le patient qui décide de tout. Il active son espace ou le clôture, classe ses données, choisit quels soignants y auront accès, etc. Il peut y stocker des données privées, par exemple celles de sa montre connectée quand il fait du jogging. L’État lui propose des services utiles : agenda de ses rendez-vous médicaux, archivage d’analyses... Enfin, MonEspaceSanté est bien sécurisé, avec des certifications très exigeantes.

Pensez-vous qu’il sera largement adopté ?

Une innovation s’impose quand elle offre des bénéfices qui l’emportent sur les peurs qu’elle suscite. C’est un combat de longue haleine, mais dans le cas de MonEspaceSanté, je suis optimiste. D’autant que les patients constateront vite d’autres avantages, le principal étant la cohérence de leur parcours thérapeutique.

Les établissements de santé seront-ils des freins ou des moteurs ?

Ils sont tenus d’appliquer les décrets de l’État. De plus ils bénéficient d’aides significatives pour investir dans de nouveaux outils informatiques : 2 milliards d’euros entre Hop’En et Ségur. Une direction qui veut faire évoluer les pratiques en a les moyens, même si elle se heurtera bien sûr aux résistances au changement.

Toutefois, il reste du travail à faire auprès des médecins. Ils vivent sous pression, courent après le temps et n’ont pas une seule heure de cours sur le digital en dix ans d’études ! On comprend que certains hésitent à adopter de nouveaux outils : ils ont besoin d’accompagnement et de réassurance.

Pour un acteur de eSanté comme Tessi, quelles opportunités s’ouvrent aujourd’hui ?

Les données médico-administratives que nous traitons pour nos clients peuvent générer davantage de valeur si elles sont agrégées, enrichies ou analysées avec des outils d’intelligence artificielle. Nous développons des solutions qui tirent parti de cette ouverture. En parallèle, nous travaillons sur la notion d’acceptabilité avec la chaire Public Trust in Health.

Un exemple de cette collaboration avec la Chaire ?

Nous évaluons une solution électronique de recueil du consentement avant une intervention chirurgicale. Elle permettrait, plusieurs jours avant l’intervention, de dialoguer avec le chirurgien en visio, de suivre une vidéo pédagogique sur le geste chirurgical, de consulter des documents, le tout depuis chez soi et en présence de ses proches.

L’objectif est de créer les conditions d’une décision vraiment libre et éclairée, comme prévu par la loi. Ce n’est pas toujours le cas aujourd’hui avec le formulaire papier. Le chirurgien ne prend pas forcément le temps de le commenter et de vous expliquer les risques. Et si vous finissez par signer, c’est juste parce que vous voulez être opéré.

Comment évaluer l’acceptabilité de votre solution ?

La Chaire nous apporte du recul, des compétences scientifiques et un carnet d’adresses ; c’est irremplaçable. Nous allons solliciter un panel de 1400 patients, mener des entretiens avec des médecins américains – nos marchés sont mondiaux – expérimenter dans des hôpitaux et avec une association de chirurgiens…

Bien entendu, notre solution est conforme au HL7 et à toutes les certifications de sécurité. Mais en eSanté comme en médecine classique, l’objectif principal reste d’offrir un service sécurisé qui correspond aux attentes et aux modes de fonctionnement des patients et des soignants. Notre santé en dépend et nous voulons les associer à ses travaux grâce à la chaire.

Le cycle d’interviews de la chaire Public Trust in Health

La chaire Public Trust in Health réalise un cycle d’interviews sur des sujets variés en lien avec les expertises de Grenoble Ecole de Management en santé. Tous les mois un chercheur échange avec un journaliste professionnel autour de thématiques variées allant de la confiance en santé, en passant par l’intelligence artificielle, les serious game, le stress du personnel hospitalier, les rappels pharmaceutiques jusqu’à l’expertise des patients. Retrouvez l’intégralité des articles.

A propos de la chaire Public Trust in Health

Les recherches menées au sein de la chaire Public Trust in Health ont pour objectifs de mieux comprendre les nouvelles solutions technologiques, les relations patients-professionnels et les écosystèmes de soins et d’innovation dans les territoires. Les travaux de la chaire s’articulent autour des 3 axes suivants :

  • Repenser la place des patients au sein du système de santé ;
  • Explorer les enjeux entre confiance, technologie et santé ;
  • Développer les écosystèmes de santé.

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