
Un article de recherche, publié en août 2021 dans le Journal of Public Economics, relève les critères d’adoption des appareils électroménagers par les ménages américains. Elle combine les variations du prix de l’énergie locale et l’observation des comportements d’achat pour le choix d’un type d’appareil électroménager, plus ou moins performant au plan énergétique.
Entretien avec Sébastien Houde, professeur associé au département Management et Technologie de Grenoble Ecole de Management. Docteur en économie, diplômé de l'Université de Stanford, aux Etats-Unis, il s'est spécialisé dans l'économie de l'énergie et de l'environnement, l'organisation industrielle et l'économie des comportements. Il étudie notamment les politiques énergétiques visant à optimiser la consommation d'énergie au regard de la transition énergétique.
Dans quel cadre s'inscrit votre étude conjointe avec Erica Myers ?
Notre étude a été conduite aux Etats-Unis de 2008 à 2012, où les prix de l'énergie varient d'une région à l'autre. Cette recherche s'est fixée pour objectif de comprendre comment uniformiser la consommation d'énergie des ménages.
En effet, depuis les années 1970, il existe un débat récurrent qui porte sur la gestion de la demande d'énergie des consommateurs. La controverse se fonde sur trois options différentes : l'utilisation des mécanismes de prix, telles que les taxes, dont beaucoup pensent qu'elles ont peu d'influence sur la consommation d'énergie ; la promotion de l'éducation et de l'information et l'utilisation de normes afin de réguler la consommation énergétique.
La principale controverse porte donc sur la taxation de l'énergie, qui n'est pas une mesure populaire. Les individus n'y répondent pas favorablement. De plus, pour ce qui concerne spécifiquement la consommation d'énergie de l'électroménager, les prix sont opaques – beaucoup plus que le prix de l'essence, par exemple.
Notre ambition a donc consisté à étudier la réponse comportementale des individus face à la variation des prix de l'énergie lors de l'achat d'appareils électroménagers. Car, de fait, la croyance populaire veut que si on modifie les prix de l'électricité, il y aura peu d'effets sur le comportement des ménages, en particulier pour l'électroménager.
Que révèle cette étude ciblée sur les comportements d'achat d'électroménagers par les consommateurs américains ?
Notre recherche a porté spécifiquement sur l'achat de réfrigérateurs. Il s'avère que la croyance populaire n'est pas exacte : de façon générale, les individus prennent en compte la consommation électrique de ces équipements et le coût de l'énergie au moment de l'achat.
En particulier, notre étude démontre que même si l'information sur la consommation énergétique des réfrigérateurs est complexe, lorsque les ménages choisissent d'adopter ces équipements, ils privilégient des appareils à plus forte efficacité énergétique dans les endroits où le coût de l'énergie est élevé.
La conclusion est donc, qu'en moyenne, les consommateurs sont très justes et rationnels dans leur comportement d'achat. Ils sont bien informés et leur comportement est en adéquation avec une intuition économique de base : si on augmente le prix d'achat de l'équipement, on gagne en efficacité énergétique.
Pouvez-vous, au vu de ces résultats, établir un lien avec la taxe carbone ?
La tarification carbone est impopulaire pour différentes raisons. Tout d'abord, la taxe carbone augmente le coût de l'énergie. Ensuite, elle vise à changer les comportements. En premier lieu, notre étude confirme l'argument suivant : pour changer les comportements, la taxe est efficace. Deuxièmement, la tarification du prix de l'électricité ne reflète pas totalement les conditions du marché. En effet, aux Etats-Unis, le coût de l'énergie est variable selon les régions. En France, le coût énergétique est uniforme même si, en réalité, il existe une grande distorsion sur la valeur d'un électron : le lieu de production de l'énergie nucléaire est différent du lieu de distribution, et l'acheminement de cette énergie génère un coût.
En conséquence, il est nécessaire de privilégier des mécanismes permettant de simplifier la tarification de l'énergie, afin d'informer les consommateurs.
pour changer les comportements, la taxe est efficace
Vous évoquez, dans votre recherche, l'influence clé des « externalités négatives » sur les tarifs de l'énergie… De quoi s'agit-il ?
Les externalités négatives sont constituées par l'ensemble des coûts sociaux négatifs externes – la pollution via l'émission de CO2 par exemple –, qui ne sont pas reflétés sur le marché de l'énergie. En France, l'énergie produite par le nucléaire n'émet pas de CO2. Les autres coûts sociaux de cette source d'énergie ne sont cependant pas pris en compte. Les énergies renouvelables ont aussi des coûts sociaux. Les éoliennes, par exemple, qui sont implantées dans certaines régions de France, peuvent créer des désagréments aux communautés locales.
De plus, avec l'introduction des énergies renouvelables en masse, nous allons avoir besoin de plus de centrales à gaz pour mieux gérer l'offre, ce qui induira une augmentation des externalités négatives – et donc une augmentation du coût social de l'énergie renouvelable.
Quelles sont les principales conclusions de votre recherche ?
Du fait des distorsions liées aux externalités négatives, le prix de l'énergie ne reflète pas le prix du marché dans tous les pays. Aussi, si on augmente les prix de l'énergie afin de prendre en compte le coût du carbone, on va accroître le coût de l'énergie.
Aux Etats-Unis, l'harmonisation des prix de l'énergie doit être pratiquée avec précaution. Certes, la taxe carbone peut influencer la demande d'énergie, mais attention, car le prix de l'électricité est déjà élevé. Notre recommandation est de profiter de l'opportunité de la taxe carbone pour repenser les tarifs de l'électricité à l'échelon d'une nation.
Enfin, rappelons notamment que la production des énergies renouvelables change la donne du prix de l'électricité, leur effet sur les externalités négatives peuvent être ambigus. Notre recherche montre que la tarification a un rôle à jouer pour corriger ces externalités.