
En juin dernier, les pays membres du G7 ont signé un accord, qualifié d’historique, visant à instaurer un taux d’imposition plancher sur les sociétés, fixé à 15 %. L’objectif ? Contrer l’optimisation fiscale des groupes transfrontaliers. Cet accord a minima constitue toutefois un pas sans précédent en matière de lutte contre la fraude fiscale. Quels en sont les enjeux ?
Entretien avec Grégory Vanel, docteur en économie internationale et professeur à Grenoble Ecole de Management.
Pour dresser les enjeux de l'évasion fiscale, vous pointez le phénomène de « distorsion de la concurrence, qui se fait sur le dos des petites entreprises ». Pouvez-vous préciser ?
Aujourd'hui, une partie de la charge fiscale qui n'est pas payée par les grands groupes, pèse sur la fiscalité des petites entreprises (et bien sûr des ménages) ; ceci, du fait d'un mécanisme qui vise à compenser partiellement le manque à gagner pour les Etats. Ainsi, aux Etats-Unis, des recherches universitaires relèvent que chaque entreprise de moins de 100 salariés paie 647 dollars d'impôt de plus par an… du fait d'une distorsion de la concurrence de l'impôt sur les sociétés. Les petites entreprises n'ont pas les moyens de se faire conseiller par les virtuoses de l'optimisation fiscale, et en paient donc le prix fort.
En quoi cet accord du G7 constitue-t-il une avancée en matière de lutte contre la fraude fiscale ?
Pour contextualiser, depuis environ 15 ans, la lutte contre la fraude fiscale s'est intensifiée au sein des pays de l'OCDE – « le club des riches ». Ce forum, constitué de 39 pays membres, a œuvré dans le but d'éviter la concurrence fiscale déloyale.
Aujourd'hui, ce consensus semble nouveau pour trois raisons. La première est politique : on assiste en effet à un basculement de la part des Etats-Unis, qui prennent le leadership sur cette question. Cette proposition signe la reprise en main politique d'une question qui, jusque-là, était traitée sous un angle technique.
C'est ensuite un sujet d'interprétation. Pour la première fois, on reconnait en droit international l'existence des firmes transnationales. C'est une avancée juridique : les firmes internationales deviennent ainsi des sujets de droit en termes de fiscalité puisque l'on prend en compte leur activité consolidée au plan mondial.
Le troisième point est paradoxal : en reconnaissant ces pratiques fiscales transnationales, on annihile une partie des stratégies d'optimisation fiscales mises en place par ces firmes internationales. Pourquoi ? Parce qu'une partie seulement des bénéfices seront taxés à un taux harmonisé égal à 15 %. Ce qui est un taux très bas ! C'est donc un accord a minima, et le risque principal est d'aboutir à un moins disant fiscal…
on assiste à un basculement de la part des Etats-Unis, qui prennent le leadership sur cette question
Concrètement, que devrait changer cet accord conclu « a minima » ?
Cela constitue un accord symbolique. Il existe une impulsion politique… qui émane des Etats-Unis. Dans tous les cas, cet accord devra être ratifié par le G20 qui, soulignons-le, inclut la Chine. Ensuite, l'accord devra être approuvé par les 39 pays membres de l'OCDE, ce qui n'est pas simple. Il est possible d'entrevoir une échéance à 2023. Mais, en réalité, je fais le pari de l'abandon du projet rapidement…
Quelles sont vos réserves ?
Il existe un jeu trouble du côté des Etats-Unis. Joe Biden avait initialement évoqué un taux d'imposition minimum sur les sociétés de 28 %. Soit, au total, 36 % en incluant les taxes locales. Au final, l'accord, porté notamment par Emmanuel Macron, a été conclu à 15 %. A titre d'exemple, un taux à 15 % rapporterait entre 5 et 7 milliards d'euros annuels à la France, alors qu'un taux à 25 % rapporterait 26 milliards d'euros. Il s'agit donc là d'un premier pas !
Au plan macro-économique, le véritable point d'achoppement reste donc le taux d'imposition. Même si ce taux s'avérait plus élevé, les pratiques d'optimisation fiscales ne s'arrêteront pas de sitôt. Pourquoi ? Parce que les « éclairagistes » – en référence à mon article dans The Conversation – soit, les grandes banques internationales et les compagnies d'audit, au premier rang desquelles les Big Four, continueront d'offrir certains dispositifs fiscaux à leurs clients en parfaite légalité, qui permettront de pérenniser l'optimisation fiscale. Par ailleurs, l'opacité financière, en tant que telle, constitue la clé de voûte du système capitaliste. En effet, pour disposer de cash et investir, l'opacité doit perdurer…
L'alternative permettant de lever cette opacité ou ce « clair-obscur » financier pourrait être de taxer les capitaux à la frontière, mais j'en doute fortement… Cet accord constitue donc une tentative de réponse à l'optimisation fiscale. En Europe, par exemple, le véritable risque, inhérent à cet accord fixé à 15 %, est que le taux d'imposition des pays baisse au niveau des taux pratiqués en Irlande, en Hongrie et en Suisse…