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Quand la finance se joue en mode casino

Publié le
28 Mars 2017

Un coup de dé enfin décodé ? Luc Meunier et François Desmoulins-Lebeault s'amusent à décortiquer et définir les jeux de hasard, la problématique de la probabilité hier et les prérogatives de la prise du risque en finance aujourd'hui . Un nouvel article publié dans TheConversation

Les marchés financiers sont souvent comparés à des casinos. Ce parallèle a été fait pour la première fois par John Maynard Keynes et est encore aujourd’hui repris dans les médias. C’est à notre sens d’un point de vue historique que la comparaison tient avec la gestion des risques financiers – du moins jusqu’en 1952. Gestion des risques financiers et jeux de hasard sont jusque-là liés par une histoire commune. The Conversation


Les probabilités, une invention « très récente »

La notion de risque quantifiable, maintenant au cœur de la finance, date du milieu du XXe siècle – bien après donc que les marchés financiers aient pris leur essor. Elle se base sur les concepts de probabilités, qui n’ont curieusement pas émergé avant le XVIe siècle, grâce à l’étude des jeux de hasard.

Les jeux de hasard existaient cependant bien avant notre ère. Les osselets, précurseurs des dés, sont dépeints sur des vases grecs et sur les murs de tombes égyptiennes datant de 3 500 ans av. J.-C.. Les osselets n’ayant pas des faces de même taille, il aurait été difficile de calculer des probabilités à partir de cet instrument.

Les Grecs auraient cependant utilisé des dés, aussi bien pour la divination que dans un but ludique. Malgré leurs connaissances mathématiques avancées, ils ne se sont jamais intéressés aux probabilités, qui forment aujourd’hui la base de la gestion des risques. Bernstein attribue cela au fait que l’avenir était à l’époque le domaine réservé des dieux. Pour le connaître, on allait voir un oracle et non pas un philosophe ou un mathématicien (souvent la même personne).

De même, les Grecs entretenaient un amour pour la pureté et la démonstration mathématiques. Les probabilités ne répondent guère à cette caractérisation. Les mathématiciens actuels ont d’ailleurs toujours tendance considérer les probabilités comme un domaine d’étude peu noble.

Il faudra donc attendre le XVIe siècle pour que cette branche des mathématiques apparaisse, et les recherches du médecin Milanais Girolamo Cardano. C’est dans le cadre de son addiction au jeu qu’il développe une analyse faisant appel aux probabilités. Il est d’ailleurs amusant de voir qu’il précise dans son livre « si les dés ne sont pas pipés ».

Par la suite, les recherches sur les probabilités sont souvent effectuées comme un « à côté » plus ou moins ludique par des scientifiques de l’époque en réponse à des demandes de joueurs invétérés. Galilée travaillera ainsi sur le sujet des probabilités à la demande de son employeur le Grand-Duc de Toscane, Cosimo II – d’après certains historiens sans grand plaisir. En France, le Chevalier de Méré entrera en contact avec les célèbres Blaise Pascal et Pierre de Fermat afin de savoir comment diviser les gains lorsqu’un jeu de hasard est arrêté en cours de partie.

C’est à partir de Daniel Bernoulli que la notion de risque apparaît. Là encore, on la doit à un jeu de hasard hypothétique, appelé le Paradoxe de Saint-Pétersbourg. Imaginons le jeu de pile ou face suivant. Vous pariez une mise initiale, que nous encaissons. On lance une pièce de monnaie. Si face apparaît, nous vous payons 1€, et on arrête le jeu. Sinon, on relance la pièce. Si face apparaît, nous payons 2€, et on arrête le jeu. Sinon, on relance la pièce. Si face apparaît, nous vous payons 4€, et ainsi de suite.

Votre espérance de gain est donc infinie. Combien seriez-vous prêt à payer pour jouer à ce jeu ?

Daniel Bernoulli postulait qu’un homme raisonnable ne serait pas prêt à mettre plus de 20€ dans ce jeu (dans le paradoxe initial, les montants étaient en ducats). Son idée est la suivante : entre recevoir 1€ ou 2€, il y a une grande différence – bien plus grande qu’entre 1 000 et 1 001€. Suivant le même raisonnement, la plupart des gens préfèreront donc conserver leurs 20€ que de les jouer à pile ou face pour un gain potentiellement infini.

En quelque sorte, « mieux vaut un tien que deux tu l’auras ». L’idée de risque quantifiable est née – les humains n’aiment pas la variabilité.

De manière amusante, ces recherches datant du siècle des lumières sur les probabilités et utilisant les jeux de hasard ont laissé leur marque aujourd’hui. Les probabilités sont toujours enseignées sous forme de jeux de hasard.

Plus intéressant encore, des « jeux de hasard » sont toujours utilisés aujourd’hui en recherche, afin de comprendre l’attitude des individus face aux risques. Ils représentent toujours une méthode privilégiée afin d’étudier le risque.


Lire la suite :

La gestion des risques en finance aujourd’hui

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.


Aller plus loin : NEUROFINANCE : ET VOUS QUEL RISQUE PRENEZ-VOUS ?

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