
Comment l’expérience et le ressenti des patients peuvent-ils être davantage pris en compte par les soignants et le monde de la santé ? La « crise de l’expertise » liée à la pandémie de Covid-19 est-elle une occasion de leur accorder plus de place ? Jan-Philipp Reineke, doctorant à GEM, explore ce sujet d’une brûlante actualité.
Pourquoi les médecins ont-ils du mal à écouter la parole des patients ?
J-P. R : Leur formation est très longue et les hisse à un tel niveau qu'ils considèrent – à juste titre – qu'aucun patient n'est capable d'avoir leurs compétences, d'interpréter une IRM du cerveau ou de réaliser une intervention chirurgicale. Mais raisonner ainsi, c'est réduire l'expertise à sa seule dimension scientifique. Or, les patients vivent une expérience de la pratique médicale qui est aussi sociale, relationnelle, psychologique, etc. C'est tout cela qu'ils souhaitent partager.
Avez-vous le sentiment malgré tout que le corps médical s'ouvre à ces nouveaux interlocuteurs ?
Il y est contraint par des décisions fortes des autorités de santé. Pour citer quelques exemples, les États-Unis ont voté dès 1990 le Disability Act, pour les personnes handicapées. En France, une loi a instauré les droits du patient en 2011 : les représentants des usagers ont acquis une vraie légitimité. Quant à la Haute Autorité de Santé, elle a décrété que la « démocratie dans la santé » était l'une de ses priorités pour la période 2019 - 2024. Les lignes bougent.
Cela suffit-il à convaincre les médecins de jouer le jeu ?
Tous ne suivent pas, notamment ceux qui craignent de devoir affronter des contradicteurs. Il est vrai que les premières années de l'épidémie de sida, certains patients étaient tellement montés en compétence sur leur pathologie qu'ils réclamaient avec véhémence certains traitements ou en refusaient d'autres, d'où de violentes confrontations avec les médecins.
À l'inverse, les soignants qui dialoguent aujourd'hui avec des patients font des retours très positifs. Ces échanges leur apportent ce qu'ils ne trouveront jamais dans des études scientifiques, et qu'ils n'ont pas le temps d'aller chercher eux-mêmes : le vécu et le ressenti du patient.
Quelles informations peuvent remonter les patients ?
En vivant avec une maladie chronique, ils apprennent à percevoir leur corps et leur environnement avec beaucoup d'acuité. Ont-ils le sentiment d'être bien soignés ? D'être entendus quand ils expriment des besoins ? D'avoir des explications quand ils les réclament ? Comment réagissent-ils à tel ou tel traitement ? Lequel est le plus facile à supporter ?
Ce n'est pas de la science, mais c'est une forme d'expertise qui doit être prise en compte. De plus, au-delà de ces informations, les patients revendiquent une place et une reconnaissance dans le système de santé et la société ; c'est une dimension symbolique qui a aussi son importance.
Quelles sont les conditions d'un dialogue fructueux entre médecins et patients ?
Il faut que chacun accepte de faire un pas vers l'autre, mais sans aller trop loin. Ce n'est pas facile : regardez ce qui s'est produit avec ces malades du sida devenus des « super experts »… Et à la même époque, on a vu des médecins homosexuels qui se montraient si proches des patients qu'ils finissaient par être rejetés par leurs confrères !
La qualité du dialogue ne va donc pas de soi. C'est une des raisons pour laquelle certains pays, dont la France, donnent une place privilégiée aux associations de patients. Celles-ci définissent des positions, choisissent des porte-parole, les forment à la collaboration avec le corps médical. Ainsi, le travail commun est plus fructueux.
Un dialogue plus actif entre patients et médecins aurait-il évité la « crise de l'expertise » qui marque la pandémie de Covid-19 ?
Difficile de l'affirmer, car cette crise de l'expertise résulte d'un manque de confiance très profond envers la science et la santé. En revanche, je pense qu'il existe aujourd'hui une opportunité autour du Covid long. Il touche des millions de patients, dont certains garderont des handicaps définitifs. Les médecins découvrent ces formes longues et on voit naître plusieurs projets de collaboration avec des patients autour du recensement des symptômes, de leur évolution, de l'efficacité des thérapies proposées, etc. On peut aller ainsi vers une médecine plus inclusive qui générerait davantage de confiance.
Le cycle d'interviews de la chaire Public Trust in Health
La chaire Public Trust in Health réalise un cycle d'interviews sur des sujets variés en lien avec les expertises de Grenoble École de Management en santé. Tous les mois un chercheur échange avec un journaliste professionnel autour de thématiques variées allant de la confiance en santé, en passant par l'intelligence artificielle, les serious game, le stress du personnel hospitalier, les rappels pharmaceutiques jusqu'à l'expertise des patients. Retrouvez l'intégralité des articles.
A propos de la chaire Public Trust in Health
Les recherches menées au sein de la chaire Public Trust in Health ont pour objectifs de mieux comprendre les nouvelles solutions technologiques, les relations patients-professionnels et les écosystèmes de soins et d'innovation dans les territoires. Les travaux de la chaire s'articulent autour des 3 axes suivants :
- Repenser la place des patients au sein du système de santé ;
- Explorer les enjeux entre confiance, technologie et santé ;
- Développer les écosystèmes de santé.