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L’exosquelette actif, progrès pour la santé ou fausse bonne idée ?

L’exosquelette actif, progrès pour la santé ou fausse bonne idée ?
Publié le
16 Décembre 2022

Stéphanie Gauttier, responsable de l'équipe de recherche "Systèmes d'Information pour la société" de GEMGrâce à ses moteurs, l’exosquelette actif réduit fortement les efforts fournis par des ouvriers pour soulever des charges. Mais il induit d’autres façons de percevoir son corps, de réaliser des gestes professionnels, de travailler en équipe… Comment évaluer son rapport coûts/bénéfices ? C’est le sujet d’une étude de GEM.

Entretien avec Stéphanie Gauttier, responsable de l'équipe de recherche "Systèmes d'Information pour la société" de GEM

Pourquoi vous intéressez-vous aux exosquelettes actifs, que de nombreux industriels commencent à adopter ?

Plusieurs questions sur leurs avantages et inconvénients n’ont jamais été traitées. De plus, aucune étude sur leur utilisation en conditions réelles n’a été conduite à ce jour.

Certes, à première vue, l’exosquelette a tout pour plaire : il réduit la pénibilité et favorise la productivité. C’est un dispositif qui assiste l’humain et préserve sa santé : c’est une des motivations principales des fabricants d’exosquelettes.

Mais il y a de nombreuses questions autour de leur impact sur le bien-être au travail et la santé. Pour de nombreux chercheurs, l’exosquelette « augmente » l’homme. Ce serait un pas vers notre transformation en cyborg ou notre robotisation. GEM réfléchit donc à leur acceptabilité au travail et sur la dimension économique de leur développement. Nous réalisons une analyse coûts-bénéfices.

Comment menez-vous votre étude ?

Nous participons au projet européen STREAM sur des systèmes innovants de réduction de la pénibilité dans la maintenance ferroviaire. Les ouvriers de ce secteur soulèvent, déplacent et positionnent des poids jusqu’à 20 kilos. Avec la répétition des tâches, 64% des ouvriers de maintenance ferroviaire souffrent du dos, 24% des épaules et autant des chevilles. De plus, beaucoup de ces ouvriers ont plus de 50 ans, d’où des problèmes de santé plus significatifs.  

Nous leur faisons tester un exosquelette actif qui divise la charge musculo-squelettique jusqu’à 50% lors des manutentions manuelles. Nous les avons rencontrés une première fois au printemps 2022, le temps d’une expérimentation de quelques heures. Nous retournons sur le terrain début 2023 pour cinq semaines d’observations et d’entretiens.

Quelles sont les réactions des ouvriers ?

Tous ont été volontaires. Sans doute parce qu’ils s’inquiètent pour leur avenir professionnel et veulent préserver leur santé. A l’utilisation, ils sont emballés : ils pensent que l’exosquelette va leur permettre de rester en bonne santé physique, sans demander d’effort d’apprentissage particulier.

Mais lorsqu’on les interroge sur leurs sensations corporelles, de nombreux ouvriers déclarent ne plus avoir le sentiment de développer leur force. Leur propre personne et leurs caractéristiques ne sont plus mises en avant, ce qui peut poser la question du sens du travail et de la santé mentale.  

Pensez-vous approfondir ces ressentis en 2023 ?

C’est l’objectif. Nous nous demanderons par exemple si l’exosquelette permet de réaliser des tâches à sa façon, ou de modifier légèrement sa posture le jour où on a mal au bras ou au dos ; ce qu’un salarié non équipé fait à sa guise. Autres questions, les ouvriers équipés d’un exosquelette continuent-ils à s’entraider, à travailler en équipe ? À quel rythme se fatiguent-ils, faut-il changer la fréquence et la durée des pauses, qui sont des moments de convivialité et d’échange ?

On passe de problèmes de charges à soulever à des enjeux plus psychologiques et humains…

Je parlerais même d’enjeux éthiques : quel objectif de santé visons-nous avec l’exosquelette ? S’agit-il de réduire les troubles musculo-squelettiques, pour permettre aux ouvriers de « fonctionner » plus longtemps avec un organisme en bon état ? Ou cherchons-nous le bien-être au travail, ce qui implique d’autres dimensions : se sentir à l’aise avec son corps, garder des marges d’autonomie, s’appuyer sur un collectif, suivre un rythme qui vous convient…

Il y a selon vous un risque de « déshumaniser » le travail ?

Oui, d’engager une dynamique de robotisation et de productivité, alors que l’intention première était de protéger la santé des individus. Mais attendons les observations de 2023 pour tirer des conclusions ; celles-ci seront publiées pendant l’été.

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