
Le concept de « placebo ouvert » est stupéfiant : le médecin administre un placebo à des patients en leur expliquant qu’il s’agit d’un placebo, et leur état s’améliore... Il a été validé par plusieurs essais cliniques, et la prochaine étape serait d’identifier auprès des médecins les obstacles à son adoption et les facteurs qui la favoriseraient. Une consultante en santé qui prépare un DBA à Grenoble Ecole de Management y consacre une étude.
Entretien avec Odile Hettler, dirigeante de Odile Hettler Consulting
Administrer un placebo en disant la vérité au patient, d’où vient cette idée révolutionnaire ?
Odile Hettler : Elle part d’un constat simple : l’effet placebo existe bel et bien, puisqu’il est estimé dans les essais cliniques à 30% environ. Il peut même être très significatif : sur l’arthrose par exemple, la réponse au placebo représente 75% environ de la réponse aux médicaments courants.
Mais on pensait jusqu’ici que cet effet était conditionné à une situation clinique dite de « double aveugle » : ni le médecin ni le patient ne savaient ce qui était administré, placebo ou vrai traitement. Or, des essais cliniques menés depuis 2010 dans plusieurs pays montrent qu’il persiste lorsque le médecin et le patient sont informés qu’il s’agit d’un placebo : c’est ce qu’on appelle le placebo ouvert.
Peut-on tout soigner avec des placebos ouverts ?
Ils n’ont pas leur place dans le traitement des maladies infectieuses et des cancers, quand la vie du patient est en jeu. En revanche, ils ont fait leurs preuves lors d’essais cliniques sur les crises migraineuses, le syndrome du côlon irritable ou les douleurs chroniques : des pathologies qui altèrent plutôt la qualité de vie.
La science explique-t-elle pourquoi le placebo ouvert fonctionne ?
Elle y travaille. Les pionniers du domaine, en particulier Ted Kaptchuk de Harvard Medical School à Boston, ont constitué des équipes pluridisciplinaires. Des généticiens recherchent un « placebome », une signature génétique de l’effet placebo. Des neuroscientifiques se penchent sur les mécanismes en jeu dans le cerveau. Des anthropologues vérifient si des civilisations anciennes utilisaient le placebo etc.
Faut-il attendre ces explications pour introduire le placebo ouvert en pratique clinique ?
Ces explications contribueraient à renforcer sa légitimité. Mais la clé de la validation d’un nouveau traitement, ce sont les conclusions des essais cliniques, et elles sont probantes. C’est pourquoi il faut maintenant passer à l’étape suivante : se rapprocher des médecins, pour comprendre les obstacles à l’adoption du placebo ouvert et les facteurs qui pourraient la favoriser.
C’est l’objet de l’étude que vous menez dans le cadre de votre DBA à GEM…
En effet. Depuis octobre 2021, j’ai eu plus de 50 entretiens qualitatifs de 30 à 90 minutes avec des médecins qui traitent la douleur chronique aux États-Unis, en Suisse et en France. Il s’agit de praticiens expérimentés : il faut une longue expérience de la relation patient – médecin, un lien de confiance solidement établi et une capacité de recul sur son identité de soignant pour prescrire un placebo dans ce cadre de transparence inédit.
Comment ont-ils accueilli votre démarche ?
Très favorablement. Certains ont une vive appétence pour la nouveauté et un esprit scientifique qui les incite à s’intéresser aux dernières innovations médicales basées sur les évidences : le placebo ouvert en fait partie. D’autres sont portés par une vision humaniste ; ils réfléchissent à la façon d’intégrer cet outil dans leur pratique.
Quels obstacles et quels freins avez-vous identifiés ?
Il est trop tôt pour le dire. Je dois analyser tout le matériau recueilli, je n’exclus pas non plus de mener des entretiens complémentaires avec des médecins que ma démarche intéresserait. Mes conclusions seront finalisées en juin 2023 et par la suite, feront l’objet d’articles scientifiques : à ce jour, aucune étude internationale semblable n’a été publiée dans le monde.