
Le bien-être et la durabilité sont-ils des « réalités territorialement différenciées » ? En 2012 et 2018, deux enquêtes inédites ont été conduites dans la métropole grenobloise pour construire des indicateurs de bien-être territorial soutenable. La démarche alimente déjà l'élaboration des politiques publiques territoriales. Focus.
« Un consensus scientifique s'est dessiné dans les années 2000, selon lequel le produit intérieur brut (PIB), qui est un indicateur macroéconomique clé depuis la Seconde Guerre mondiale, ne reflète pas la façon dont les gens vivent, ni leur bien-être.
Plus largement, les indicateurs traditionnels ne tiennent pas compte de ce qui compte et se concentrent uniquement sur ce que l'on sait compter. Ils ne considèrent pas ce qui fait « bien commun » ; ils ne fournissent pas non plus l'instrumentation statistique nécessaire pour aborder les questions de soutenabilité sociale et environnementale », relèvent Fiona Ottaviani, professeure associée à Grenoble Ecole de Management, et membre de la Chaire Paix Economique et de la Chaire Territoires en transition de GEM, et Anne Le Roy, enseignante-chercheure au Centre de recherche en économie (CREG), de l'Université Grenoble Alpes.
Des indicateurs de bien-être territorial soutenable
Compte tenu de ces besoins d'analyse, de nombreux travaux sont menés pour proposer des indicateurs alternatifs permettant d'évaluer le bien-être à différentes échelles spatiales : au niveau national, infranational ou au plan de la coopération des autorités locales. Dans la métropole grenobloise, la réflexion sur la meilleure façon de quantifier le bien-être a abouti, en 2015, à l'élaboration d'un tableau de bord d'indicateurs de Bien-Etre Soutenable Territorialisés – IBEST (Ottaviani, 2015). Ce résultat, destiné à servir de référence pour l'élaboration des politiques, a permis d'analyser l'aire métropolitaine en utilisant de nouvelles catégories d'action publique, comme le bien-être soutenable.
Deux enquêtes inédites dans l'agglomération grenobloise
Fiona Ottaviani et Anne Le Roy ont ainsi conduit une analyse transversale et longitudinale des données d'enquêtes produites en 2012 et 2018 dans la métropole de Grenoble.
L'enquête de 2012 a montré que, si certains enjeux de durabilité (liés au temps et au rythme de vie, à l'accès aux services publics) étaient communs à l'ensemble de l'aire métropolitaine, les aspirations liées au bien-être soutenable (cadre de vie et logement notamment) variaient d'un territoire à l'autre. Il n'y a donc pas une seule façon de bien vivre sur un territoire mais plutôt plusieurs façons de le faire.
Il n'y a donc pas une seule façon de bien vivre sur un territoire mais plutôt plusieurs façons de le faire.
Alors que les différences territoriales étaient peu marquées en 2012 dans une aire territoriale de 28 communes majoritairement urbaines et périurbaines, l'intercommunalité (élargissement à 49 communes métropolitaines) a modifié ces résultats.
L'enquête quantitative, réalisée en 2018, a ainsi permis de caractériser les habitants de chacune des trois strates de l'agglomération grenobloise par rapport aux deux zones initiales, urbaines et périurbaines.
- Les habitants de la strate « centre », par rapport à ceux vivant en zone dense ou peu peuplée, considèrent la propreté comme une priorité par rapport à leur cadre de vie. Cependant, ils n'ont pas de jardin et vivent dans des appartements dans un quartier sale et dépourvu d'espaces verts. De plus, et toujours relativement, ils utilisent des modes de transport doux plutôt que durs, ils font confiance aux médias, et ils visitent le marché.
- Les habitants des quartiers « denses », comparés à ceux des quartiers peu peuplés ou du centre-ville, semblent peu ou pas satisfaits de leur quartier et considèrent la question de la sécurité comme une priorité. Ils appartiennent à des organisations bénévoles mais ne fréquentent pas très souvent les parcs. En tant que locataires de logements sociaux, ils sont favorables à des logements mieux adaptés.
- Les habitants des quartiers « peu peuplés », comparés à ceux vivant en centre-ville ou dans une zone densément peuplée, déclarent préférer vivre dans une maison unifamiliale dans un quartier perçu comme propre même s'il est peu accessible. Les montagnes représentent leur espace de vie. Ils sont également préoccupés par les questions environnementales telles que l'augmentation des déchets.
« Cette étape du travail sur l'exploration territoriale des facteurs de différenciation vis-à-vis du bien-être durable des habitants de la métropole Grenoble-Alpes, semble confirmer l'existence de traits différents entre les territoires », relèvent les résultats d'enquêtes. Au-delà, ces résultats contribuent aux besoins croissants d'information des acteurs locaux et au débat théorique, géographique et politique sur les territoires où il est le plus souhaitable de vivre.
Le Forum international pour le bien vivre
Initié en 2018, le Forum international pour le bien vivre se tiendra, à Grenoble, du 29 juin au 1er juillet 2022. Il est organisé de concert par CCFD-Terre Solidaire, le collectif FAIR (Forum pour d'Autres Indicateurs de Richesses), la Ville de Grenoble, Grenoble Alpes Métropole, l'Université Grenoble Alpes et la chaire de recherche Paix économique de Grenoble Ecole de Management. Cette seconde édition post-Covid ambitionne de dessiner les contours d'une société plus juste et soutenable. Comment traduire le bien-vivre en actes et en indicateurs – entre plafond environnemental et plancher social ? Et, comment soutenir et élargir le cercle des instigateurs/trices d'un changement de paradigme ? Tels seront les principaux axes défendus lors des échanges organisés dans le cadre du Forum.
Le forum intègre en son sein un colloque scientifique international coordonné par Fiona Ottaviani (membre de la chaire Paix économique de GEM) et par un comité scientifique d'une quinzaine de chercheurs de différentes disciplines (de GEM, de l'UGA et au-delà). La thématique du colloque scientifique est : « Vers la société du bien vivre : les interdépendances à l'épreuve des atomismes ». Ce colloque abordera la question des interdépendances économiques, sociales et environnementales, des interdépendances entre les personnes et les collectifs et des interdépendances interscalaires et territoriales.
En préambule de l'événement, le 28 juin au soir, la chaire Paix économique de Grenoble Ecole de Management, ouvrira les débats autour de la thématique : « L'entreprise au défi de la sobriété heureuse et solidaire ». Cécile Renouard, cofondatrice et présidente du Campus de la Transition, animera cette conférence. Professeure de philosophie, elle est également auteure de nombreux ouvrages sur la responsabilité éthique et politique des entreprises. Dans le cadre de partenariats avec des entreprises, ONG et agences publiques de développement, elle a œuvré, depuis 2006, à la mesure de la contribution des entreprises à la qualité du lien social et écologique dans différents territoires (Nigeria, Inde, Indonésie, Mexique, France). Cette activité d'enseignement et de recherche l'a conduite à créer, fin 2017, le Campus de la Transition, à côté des grandes écoles et universités, afin de favoriser des formations cohérentes avec les enjeux de la transition écologique et sociale.