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Discriminations : « rencontres » avec le sexisme ordinaire en entreprise

Sevrine le loarne
Publié le
08 Décembre 2020

Au-delà des obligations légales, visant à rétablir l’égalité entre les femmes et les hommes, chaque entreprise a un rôle à jouer pour lutter contre les discriminations et le sexisme ordinaire. Grenoble École de Management s’engage depuis plusieurs années sur le terrain de la prévention des discriminations et de l’éducation à la parité en entreprise.

Entretien avec Séverine Le Loarne, titulaire de la chaire Femmes et Renouveau Économique (FERE), de Grenoble École de Management.

Quel est « l'intérêt » strictement économique des entreprises à lutter contre les discriminations au travail ?

Les sociétés bougent plus vite que les entreprises, et bouleversent les représentations. Les différents mouvements sociaux auxquels on assiste (le mouvement MeToo ; les luttes pour le climat ; les Gilets Jaunes…), ne font pas de cadeaux aux entreprises. La pression sociétale est là, et les retombées sur les réseaux sociaux sont énormes. Je citerais, pour exemple, les réactions suscitées par l'annonce des licenciements chez Danone, qui se veut entreprise à mission.
Dans ce contexte, si l'entreprise n'évolue pas, il y aura des boycottes : les jeunes ne postuleront pas auprès des entreprises et les consommateurs ne consommeront pas. C'est un courant incontrôlable.
Autre argument : des recherches conduites en France établissent une corrélation directe entre la place des femmes dans un board, ou d'un conseil d'administration, et l'engagement des entreprises dans des innovations de rupture.
De même, les femmes, de par leur éducation, ont tendance à « composer ». Elles fédèrent les acteurs et ne travaillent pas « contre » eux. Elles se distinguent notamment dans l'art de concilier les impératifs des politiques européennes, des lobbyistes et l'intérêt des citoyens.
Enfin, des études managériales anglo-saxonnes, relèveraient une meilleure performance économique des entreprises lorsque les boards sont mixtes.

Comment se traduit le sexisme « ordinaire » en entreprise ?

Il se traduit essentiellement dans les pratiques de réseautage et donc, dans l'antichambre des prises de décisions stratégiques. Les réseaux professionnels se cultivent souvent le soir, après le bureau, à l'heure où les femmes gèrent traditionnellement les tâches familiales et éducatives. Ces pratiques sont qualifiées de « sexistes » car elles correspondent alors aux pratiques des hommes, ou des femmes sans enfant en âge d'éducation.
De même, il est de bon ton de dire que l'on prend du temps pour soi, pour voyager, faire du sport… En revanche, prendre du temps pour s'occuper de ses enfants reste un sujet tabou en entreprise, notamment chez les hommes.
Enfin, le baromètre du sexisme, déployé à GEM, depuis près de cinq ans, relève encore un ensemble de « petites blagues » sexistes au sein de l'école mais aussi en entreprises.

Quelles sont les actions conduites par la chaire FERE auprès des étudiants de GEM, visant à rompre les stéréotypes et modifier, à terme, leurs postures de managers ?

La chaire FERE a vocation de produire des résultats de recherche par l'action, et de développer des outils pédagogiques et de prévention à destination des futurs managers notamment.
Concrètement, l'action de la chaire repose sur un constat : nous sommes tous des harceleurs et harceleuses en puissance ET des harcelé (e) s potentiels – y compris les managers, hommes et femmes. Notre travail consiste à contrecarrer ces inclinaisons, à travers des outils de prévention. Nous avons donc réalisé une bande dessinée, intitulée Rencontres avec le sexisme, qui anime une réflexion concrète sur l'éthique en entreprise. Cet outil à tiroirs, s'inspire de situations réelles, et se déploie tout au long d'un cours (innovation, marketing, finance…). Ce travail pédagogique et de prévention n'est pas optionnel. Il fait partie intégrante des cours, délivrés à GEM.
La chaire FERE travaille également à partir des travaux du philosophe René Girard, qui a fondé la théorie du Bouc émissaire. Nous réfléchissons à prévenir les comportements sexistes ; analyser les situations à risque ; réfléchir aux logiques de coresponsabilité, car nous sommes tous responsables.
Notons également la cellule d'alerte, mise en place à GEM : les étudiants ont mission de recueillir les témoignages, de qualifier et d'accompagner les étudiant (e) s victimes de comportements sexistes, discriminatoires ou violents – incluant le viol. Dans ce cas, une procédure est directement conduite au pénal.

Les périodes de confinement successives ont-elles accru les inégalités au travail, avec le développement du travail à distance ?

Mon analyse est nuancée : différentes études de la chaire pointent, qu'en temps normal, une femme entrepreneure est mieux « armée » pour travailler à la maison. Mais, lors du premier confinement notamment, la gestion était très différente, puisque tout le monde s'est retrouvé confiné, avec la classe à la maison. Dans ce contexte spécifique, toutes les logiques initiales ont été exacerbées : au mieux, tout le monde était affairé aux différentes tâches de façon équitable, et dans le pire des cas, ce sont les femmes seules, avec enfant, et les femmes qui portaient déjà toute la charge mentale, qui se sont retrouvées accablées.
En revanche, l'on sait au plan scientifique que ce sont les femmes entrepreneures, qui se trouvaient dans de fortes logiques de croissance, qui ont été le plus impactées par la crise sanitaire. Pourquoi ? Parce que ces femmes entrepreneures œuvrent majoritairement dans les services supports aux entreprises. Et ce sont ces métiers qui ont été massivement impactés d'un point de vue économique, lors du confinement.

FERE soutient l'entrepreneuriat féminin des quartiers prioritaires de la ville.

Faites un don !

  • Depuis 2016, la chaire FERE accompagne les femmes dans leurs projets de création d'entreprise, et réalise des mesures d'impact. À partir de 2021, elle concentre ses efforts sur l'entrepreneuriat féminin dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV), initialement à la Villeneuve, à Grenoble (12 000 habitants), à Pantin en Seine-Saint-Denis et à Aubagne dans les Bouches du Rhône.  
  • A compter de février 2021, puis tous les deux mois, la chaire FERE animera des think tank, en partenariat avec les acteurs locaux (habitants, politiques, membres de réseaux et d'associations, financeurs de l'entrepreneuriat, etc.), et les femmes entrepreneures du cru, modèles d'identification. « L'objectif de la chaire FERE est de favoriser la création d'emplois pérennes, dans ces quartiers, si possible en lien avec l'écologie et le développement durable, souligne Séverine Le Loarne. Ces actions de terrain seront conduites avec l'incubateur GEM-Les Premières, qui œuvre au développement de l'entrepreneuriat féminin. » A Grenoble, l'initiative se voit confortée par une contribution financière de Grenoble-Alpes Métropole, visant à prévenir les discriminations. Le projet est également soutenu par la French Tech Tremplin, qui pallie les disparités socio-économiques des créatrices d'entreprises des QPV. Dans un second temps, l'ambition est d'élargir l'initiative au territoire des Hauts-de-France et à Aubagne, en région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Placée sous l'égide de la Fondation de France, la Fondation Grenoble École de Management, qui héberge la chaire FERE, fait un appel aux dons auprès des particuliers et des entreprises. Ces dons ouvrent droit à une réduction de l'impôt sur le revenu ou de l'Impôt sur la fortune immobilière (IFI). Pour soutenir son action,
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