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Coûts de revient et inflation : comment créer de la valeur via la fonction achats ?

Coûts de revient et inflation : comment créer de la valeur via la fonction achats ?
Publié le
26 Avril 2023

Au vu du contexte inflationniste qui se durcit, existe-t-il des alternatives probantes à la tentation de « tirer » les prix d’achat vers le bas pour générer des marges ? 

« Oui », répond Hugues Poissonnier, professeur d’économie à Grenoble Ecole de Management (GEM), spécialiste des achats responsables et membre de la chaire Unesco pour une culture de Paix économique. Entretien.

En préambule, pouvez-vous expliquer l’origine de l’inflation qui touche actuellement nos économies ?

L’inflation se définit par la hausse des prix sur une période plus ou moins longue. L’inflation actuelle a plusieurs orgines. Il existe tout d’abord une inflation d’origine monnétaire qui découle du fait que, sur la période récente, il y a eu davantage de création monétaire (qui découle des crédits accordés par les banques aux agents économiques) que de production de biens et services. Les taux d’intérêt particulièrement bas ont favorisé cette situation. Aujourd’hui, c’est d’ailleurs la volonté d’inverser la tendance, pour contrecarrer la flambée des prix, que les banques centrales américaine et européenne notamment, augmentent les taux d’intérêts afin de décourager le crédit bancaire et de contenir l’augmentation des prix.

Dautres facteurs conjoncturels sont apparus : la pandémie de Covid, en 2020, qui a nécessité de réorienter les supply-chains et de trouver de nouveaux fournisseurs plus proches, proposant des prix souvent plus élevés. La guerre en Ukraine a contribué à rendre plus difficile, voire impossible l’accès à certaines ressources, déjà touchées par un phénomène plus structurel de raréfaction et de tarrissement au niveau mondial : métaux, énergies fossiles… Aujourd’hui, même si ces ressources sont chères, elles devraient l’être encore plus si le marché prenait mieux en compte les impacts liés au tarissement des réserves et aux conséquences néfastes de leur utilisation sur l’évolution du climat et la protection de la vie.

Nous entrons aujourd’hui dans une période d’inflation forte, dont le principale corollaire devrait être l’augmentation des salaires et donc des coûts de revient 

Pouvez-vous préciser quels enjeux portent sur les coûts de revient ?

Le coût de revient équivaut à la somme de tous les coûts auxquels les entreprises font face pour mettre le produit à disposition du client : les coûts de production – dont les coûts d’approvisionnement (achat de matières premières, intégrant leur transformation), les coûts de commercialisation, les coûts administratifs également, qui permettent à l’entreprise de fonctionner. Dans le secteur commercial, comme celui de l’habillement par exemple, le coût de revient correspond à l’achat des marchandises (donc les coûts d’approvisionnement) pour les revendre. Dans les services informatiques, ce sont les coûts salariaux, l’achat d’équipements, les coûts énergétiques… qui dominent.

A force d’externaliser, les « frais de personnel » ont été partiellement remplacés par des coûts d’approvisionnement et d’achats, en particulier dans l’industrie. Après avoir investi dans la gestion des ressources humaines, pour développer les compétences des salariés notamment, il importe aujourd’hui d’investir, comme le font les entreprises qui se portent le mieux dans les « ressources externes » que constituent les fournisseurs et sous-traitants.  La création de valeur se joue en effet massivement chez les fournisseurs. Le groupe Tefal, à Rumilly en Haute-Savoie, détache régulièrement des ingénieurs chez ses fournisseurs pendant une période de six mois, avec une mission : améliorer les process et aider le fournisseur à progresser et à monter en compétences. L’enjeu de cette collaboration est d’être capable de co-innover, et d’être plus performant en termes de maîtrise des coûts. C’est une démarche essentielle aujourd’hui.

Quelles sont donc les recommandations que vous formuleriez dans le contexte actuel ?

Tout d’abord, pratiquer l’analyse de la valeur. C’est simple, cela consiste à se poser deux questions lorsque l’on achète un produit ou un service : « A quoi ça sert ? » et « Que suffit-il pour que cela réponde à nos besoins ? »

Un exemple : nombre de services informatiques sont proposés aux TPE et PME. Ils sont, pour la plupart, surdimensionnés. D’où l’enjeu pour ces PME de payer moins cher un service qui répond vraiment à leur juste besoin. D’où, aujourd’hui, l’intérêt pour les SSII de proposer des offres dimensionnées aux besoins réels, au risque de voir le marché s’effondrer.

En clair, à travers cette démarche, des économies plus importantes peuvent être générées plutôt que par la voie de la négociation. En période de crise, la voie de la négociation est en effet difficile. Les marges de négociation sont faibles. Et si l’on obtient beaucoup du côté des acheteurs, c’est au risque de mettre en grande difficulté le fournisseur, de le voir donc disparaître et de perdre une expertise. Aux valeurs de bienveillance, qui, fort heureusement existent, s’ajoutent de plus en plus un intérêt économique bien (mieux) compris en faveur d’un plus grand respect des fournisseurs et d’une mise en œuvre de solutions collaboratives. Le meilleur levier consiste ainsi à dessiner ensemble les contours d’une collaboration solidaire, via la mise au point d’un produit qui sera (peut-être) moins parfait, mais mieux ajusté au besoin, et qui intègre les dimensions sociales et environnementales par le biais de relocalisations, par exemple.

En période d’inflation, il est donc possible de créer de la valeur via la fonction achats ?

Bien sûr ! Dans un contexte d’inflation, je recommenderais de se concentrer sur la valeur apportée aux clients, ce qui produira possiblement une plus forte acceptation de la hausse des prix. Quand tout le monde propose des produits plus chers – sans plus de valeur – il peut être judicieux de se concentrer sur la valeur en renonçant partiellement à lutter contre la hausse des prix puisqu’il s’agit d’un combat perdu d’avance et finalement peu motivant. Proposer au client d’en avoir un peu plus pour son argent est en revanche possible. Il s’agit alors d’améliorer la qualité technique, sociale et environnementale des produits face aux prix qui augmentent. Beaucoup de consommateurs, sensibles à la RSE, y verraient sans doute une raison valable d’accepter des hausses de prix.

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