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Consommation durable : quand et comment la norme sociale devient contre-productive

Consommation durable : quand et comment la norme sociale devient contre-productive
Publié le
15 Juin 2022

Trois études comportementales révèlent le processus selon lequel les consommateurs suivent ou s'écartent des recommandations en matière de comportements durables. Cette recherche démontre que ce sont paradoxalement les individus qui ont consommé de manière durable par le passé, qui résistent le plus aux injonctions sociales à consommer durablement. Analyse.

Entretien avec Robert Mai, professeur de marketing à Grenoble Ecole de Management, co-auteur de cette recherche avec Wassili Lasarov, professeur à l'Université de Kiel et Stefan Hoffmann, docteur en psychologie et professeur de marketing.

En préambule, pouvez-vous préciser les concepts de « preuve sociale » (« social proof »), et « caution morale sociale » (« social moral license »), qui caractérisent votre étude conjointe ?

« Il existe deux façons dont les gens peuvent interpréter le comportement écologique/ socialement responsable de leurs pairs : soit ils perçoivent ce comportement comme une preuve sociale (c'est-à-dire une norme implicite), et se comportent en conséquence. Ou bien, comme nous le relevons, ces derniers peuvent considérer les contributions de leurs pairs comme une autorisation qui leur est faite de se désengager dudit comportement.

Prenons l'exemple des dons à une cause écologique : vous apprenez que vos semblables ont donné une somme considérable à cette cause. Si vous interprétez le comportement de vos pairs comme une preuve sociale, vous considérez leurs dons comme la norme dans votre groupe de référence et vous donnerez un montant similaire à la même cause, afin de suivre leur exemple.

Cependant, il est également possible (et c'est le phénomène nouveau que nous suggérons), que vous considériez le don de votre semblable comme une contribution suffisante à la cause. Ce qui peut alors être perçu comme vous dispensant de faire vous-même un don. Comme votre pair a déjà fait un effort, vous pouvez en déduire que cela vous donne l'autorisation de vous écarter de ce comportement (caution morale sociale). »

Votre recherche explique que les individus dont le comportement est traditionnellement vertueux en termes de consommation durable, sont paradoxalement les plus résistants aux recommandations sociales durables. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

« Ironiquement, nous postulons – et constatons empiriquement – que ce sont les personnes qui ont effectivement eu un comportement durable par le passé qui sont victimes d'une forme de « caution morale sociale ». Cela peut s'expliquer par le fait que ces personnes ont apporté plusieurs contributions durables par le passé. Elles sont donc plus susceptibles (par rapport à celles qui ont eu un comportement moins durable dans le passé) de considérer les comportements de leurs pairs comme répondant à une norme sociale. En d'autres termes, ceux qui ont été particulièrement motivés dans le passé pour se comporter de manière durable sont aussi ceux qui peuvent estimer que le comportement durable de leurs pairs leur donne le droit de se désengager et de concentrer leur attention sur eux-mêmes ou sur d'autres comportements (de consommation) égocentriques. Ceci est moins probable pour les personnes qui se sont comportées de manière moins durable auparavant. Dans ce cas, le comportement de leurs pairs sert plutôt d'exemple qu'ils suivent (preuve sociale). »

Au vu des résultats de votre recherche, que faut-il faire pour encourager les individus à consommer de manière durable, sans induire d'effets contre-productifs ?

« C'est l'aspect le plus important de notre recherche. On trouve des références à d'autres personnes pertinentes à peu près partout dans la vie quotidienne (par exemple, une mesure qui indique le pourcentage de gens ayant payé leurs impôts, ou fait des dons à Wikipédia ; votre consommation annuelle d'eau/énergie par rapport aux ménages qui vous entourent, etc.) Ce que nous constatons, c'est que cette stratégie de persuasion est plus compliquée qu'on ne le pensait au départ, car elle peut aider ou nuire. En particulier, le fait que cette stratégie puisse nuire et démotiver les gens à adopter un comportement est nouveau et n'a jamais été abordé auparavant.

le fait que cette stratégie puisse nuire et démotiver les gens à adopter un comportement est nouveau et n'a jamais été abordé auparavant.

Les managers et les décideurs doivent veiller à utiliser l'exemple de personnes pertinentes lorsqu'ils ont l'ambition de motiver les gens à adopter certains comportements. Comme nous l'avons démontré, cela peut être motivant pour les individus les moins engagés. Dans ce cas, une référence saillante à leur groupe de pairs ou à d'autres personnes pertinentes peut réellement aider (par exemple, à augmenter les dons d'organes, les dons d'argent à des causes environnementales, à réduire la consommation d'énergie, etc.). Toutefois, cette stratégie peut nuire lorsque les cibles primaires sont des individus plutôt engagés ou lorsqu'elle est utilisée dans des contextes où les gens sont plutôt motivés. Dans ce cas, nous suggérons de ne pas utiliser de référence aux pairs dans le but de motiver ces consommateurs. Nous discutons également de ce point plus en détail dans notre document de recherche. »

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