
La littérature existante sur le sujet de la perception du leadership négatif pointe notamment les profils de leaders narcissiques, explicitement toxiques, abusifs et dysfonctionnels. Pour la première fois, une enquête qualitative, portant sur les comportements des managers et dirigeants perçus comme négatifs par leurs collaborateurs, met en lumière une typologie de leadership négatif implicite ou modéré, jusqu’à présent négligée.
Cette vaste étude réplicative, réalisée entre 2007 et 2019, s'est strictement focalisée sur les comportements managériaux perçus comme négatifs dans 13 secteurs d'activités différents et neuf pays. Les résultats de l'enquête, intitulée « Toward a generic framework of perceived negative manager/leader behavior: A comparative study across nations and private sector industries », ont été publiés en février 2022 dans la revue European Management Review.
« Notre analyse de trois courants pertinents de la littérature existante révèle l'absence marquée d'un cadre générique comprenant une gamme complète de comportements négatifs de gestionnaires/leaders (de modérés à extrêmes) dans tous les secteurs et pays. Ce vide est particulièrement préjudiciable à l'efficacité des programmes de développement du management et du leadership », relève en préambule Taran Patel, professeure senior à Grenoble Ecole de Management et co-autrice de cette enquête avec Robert G. Hamlin, professeur Emérite à l'Université de Wolverhampton en Grande-Bretagne, et Dima Louis, professeure assistante à Grenoble Ecole de Management.
Pour répondre à cette préoccupation, l'équipe de recherche a effectué une analyse comparative multiple entre cas et pays des données collectées à partir de leurs 13 études empiriques antérieures (utilisant la technique de l'incident critique) sur les comportements efficaces et inefficaces des managers et des dirigeants dans neuf pays culturellement différents et dans diverses entreprises du secteur privé (le consulting, les télécommunications, la santé, l'éducation…). « Cette étude conduite à partir de 521 entretiens qualitatifs, a permis pour la première fois de mettre en lumière une typologie d'analyse permettant de comprendre les comportements managériaux perçus comme négatifs », assure Taran Patel.
Cinq dimensions comportementales
La typologie des comportements managériaux perçus comme négatifs, proposée par cette étude, révèle les cinq comportements suivants :
- Un comportement général inadéquat, qui sous-tend l'inefficacité de l'organisation, de la planification, de la communication et un comportement centralisateur de la part du manager ;
- Un comportement contraire à l'éthique, qui comprend des comportements clairement discriminatoires, insultants, le manque de respect ou l'appropriation de votre fonction, ou bien encore la rétention d'informations importantes ;
- Un comportement interpersonnel dominateur : le manager adapte une posture de domination, contrôle et n'établit aucune relation de confiance avec ses collaborateurs ;
- Un comportement de privation : le manager freine ses collaborateurs dans la réalisation des tâches, ne délègue pas, ne forme pas, n'assure aucun feedback et ne délivre aucune informations constructives ;
- Un comportement fermé/un esprit négatif : le manager est peu enclin à l'ouverture et ne favorise pas l'amélioration continue de ses collaborateurs. Pour ce profil de manager, tout changement et toute évolution sont synonymes de stress.
C'est moins ce que l'on fait que ce qui en est perçu qui importe, y compris dans le champ du management et du leadership
Un nouvel éclairage à la littérature universelle
La mise en exergue de ce cadre générique apporte un nouvel éclairage à la littérature universelle en montrant que ni la culture nationale, ni les spécificités sectorielles n'influencent les perceptions des individus en matière de comportement négatif des managers/dirigeants. « Dans la plupart des cas, un mauvais manager est perçu comme un mauvais leader, quels que soient le pays et le secteur d'activité, souligne Taran Patel. En d'autres termes, la perception et les attentes des individus en matière de management restent identiques, quelles que soient la nation et la culture d'origine des personnes interrogées. »
L'étude souligne également l'importance de l'implicite (par opposition à l'explicite) dans la façon de manager les individus, en révélant que les perceptions des employés en matière de comportements négatifs des gestionnaires/leaders comprennent non seulement les comportements ostensiblement mauvais, mais également les comportements moins visibles, perçus comme « modérés ».
Au total, conclut Taran Patel : « C'est moins ce que l'on fait que ce qui en est perçu qui importe, y compris dans le champ du management et du leadership. » Cette étude met pour la première fois au jour des données pratiques à l'usage des dirigeants.