
En avril dernier, les rencontres de l’énergie, à Grenoble Ecole de Management, ont mobilisé les acteurs curieux des nouveaux modèles d’affaires de la transition énergétiques. Supports de cette transformation, les initiatives citoyennes et les coopératives énergétiques font émerger des « prosumers » - des producteurs/consommateurs d’énergie renouvelable. Tour d’horizon comparé entre la France et les Pays-Bas.
Anne-Lorène Vernay est professeur en management stratégique à Grenoble Ecole de Management. Sa recherche est centrée sur les nouveaux business model, développés pas les entreprises du secteur de l'énergie en réponse à la transition énergétique et sur l’impact des business model dans les transitions durables.
« Aujourd’hui, de plus en plus d’entreprises surfent sur l’idée de créer des communautés énergétiques pour se différencier des grands acteurs historiques de l’énergie. Ces entreprises ont un point commun : elles ont développé un business model de plateforme qui repose non pas sur la valorisation d’actifs coûteux, comme peuvent le faire les fournisseurs classiques, mais sur la mise en relation de petits, voire de très petits producteurs d’énergie renouvelable d’un côté, et de consommateurs de l’autre, » note Anne-Lorène Vernay. C’est ainsi que l’on assiste à l’émergence des « prosumers » : des producteurs/consommateurs – eux-mêmes clients des opérateurs historiques, et qui deviennent aussi leurs concurrents.
La France et les Pays-Bas : deux marchés ; deux modèles
« En France, le mouvement des coopératives énergétiques est balbutiant. Il existe 300 coopératives énergétiques qui réunissent 11 000 actionnaires et produisent ensemble 0,2 % de la production annuelle française d’électricité renouvelable. Aux Pays-Bas, ces coopératives sont presque 500 (il existe une coopérative dans les 2/3 des villes du pays), et regroupent plus de 70 000 citoyens (1 % des foyers néerlandais), qui possèdent 2 % de l’énergie solaire générée aux Pays-Bas. Les coopératives éoliennes produisent assez d’énergie pour 120 000 foyers. A cette échelle, l’impact de ces initiatives citoyennes commence à être significatif sur le marché des énergies alternatives, » relève Anne-Lorène Vernay.
Des disparités structurelles
Aux Pays-Bas, le marché de l’énergie est entièrement libéralisé. « En 2018, 18 % des foyers néerlandais ont changé de fournisseur. 1/4 des foyers a changé de fournisseurs en France. Au Pays-Bas, les fournisseurs d’énergie sont en concurrence pour l’accès aux centrales de production d’énergie renouvelable, alors qu’en France, les fournisseurs sont quasi obligés de vendre leur énergie à EDF. »
« Il existe aussi des différences liées à la manière dont ces communautés se positionnent, dont elle se présentent. En France, le mouvement débute et les coopératives se présentent souvent comme des entreprises militantes. Elles permettent aux gens d’investir une partie de leur épargne afin de lui donner du sens et d’encourager le développement de l’économie à l’échelle locale. Aux Pays-Bas, les coopératives sont aussi fournisseurs d’énergie et permettent aux consommateurs de consommer l’électricité produite par la coopérative. Elles jouent sur la création de circuits courts, à la manière dont on peut les trouver dans le secteur agroalimentaire. Ces coopératives donnent de « la couleur à l’électron » que les gens consomment, » résume Anne-Lorène Vernay.
Une coopération qui permettra de « verdir » les gros acteurs ?
« En France, notre étude a pointé que la CRE (Commission de régulation de l’énergie) n’est pas très friande des initiatives d’énergie citoyennes. Nombreuses sont les coopératives qui font le choix de manière assez pragmatique de travailler avec des fournisseurs classiques d’énergie (Eneco par exemple, qui vient d’être racheté par Shell). Ces coopératives ne se positionnent pas contre le système, mais l’utilisent afin de faciliter leur développement. La question porte sur la volonté ou non des coopératives à travailler avec des acteurs historiques.
Aux Pays-Bas, elles sont nombreuses à le faire, mais elles se posent également la question des risques que pose la collaboration avec le grand frère qui leur dit ce qu’ils doivent faire (pour reprendre les mots d’Eneco). D’un côté, il apporte les connaissances techniques et sectorielles nécessaires au développement de projets de grande envergure. D’un autre côté, ces coopératives risquent de faire face à une perte de sens, une perte d’autonomie,selon les propos d’Eneco. »
Pour Anne-Lorène Vernay, « Les fournisseurs d’énergie ont plusieurs options : ne rien changer et devenir producteur d’électrons – ce qui leur ferait perdre une partie de l’accès à la valeur ; faire évoluer leurs pratiques et développer des plateformes comme celles de Powerpeers (qui est d’ailleurs la propriété de Vattenfall, l’EDF suédois) ; travailler main dans la main avec les coopératives. Cela peut leur permettre d’avoir accès à des projets de production d’énergie renouvelable, soutenus par les communautés locales. Et de conclure : ces initiatives peuvent être source d’innovation et de progrès si on laisse aux citoyens et aux entreprises des marges de manœuvre. C’est peut-être la meilleure chose qui puisse à terme permettre de « verdir » les gros acteurs. »